Soukaïna SKALLI est une jeune journaliste.
Elle tient également un site personnel, “Choofmedia”.
Cet automne elle sera invitée par Nova Villa autour de notre projet “éducation aux médias”.

 

Mon cher papa,

Je t’avoue qu’en réfléchissant à mon destinataire, je n’ai pas pensé directement à toi. Je cherchais probablement un destinataire impersonnel, qu’on ne pourrait reconnaître à travers mes mots. Pourtant, aujourd’hui, plus que jamais, c’est à toi que je veux adresser cette lettre. Cela fait bientôt deux mois que le confinement nous a permis, dans un sens de nous retrouver de nouveau, tous en famille. Bien que je sois partie du cocon familial il y a près d’un an, nos appels et messages permanents nous permettent de savoir en temps et en heure ce que l’un a déjeuné à midi, ou ce que l’autre a fait de son après-midi. J’ai toujours été très proche de toi et écouté attentivement les grandes histoires de ta vie, qu’elles soient touchantes ou drôles. Pourtant, les instants où tu me parles de ta jeunesse sont rares.

Je crois que je connais déjà un peu ton histoire, et que je l’ai embellie par endroits, pour te glorifier. Quand je parle de toi, je parle de celui qui a quitté son pays pour subvenir aux besoins de sa famille. Je dresse spontanément le portrait d’un héros, à l’ascension sociale notable, qui a transcendé le déterminisme social et qui, finalement, a réussi sa vie. Mais je ne t’ai jamais demandé ce que ça tu as ressenti en tout quittant à 24 ans, l’âge que j’ai à peu près aujourd’hui.

Alors, après avoir réfléchi à un projet professionnel, je me suis dit qu’il était temps que les gens – et par les gens j’entends d’illustres inconnus – te connaissent comme moi je te connais. Moi qui pensais en savoir beaucoup, j’ai été très émue d’apprendre une partie de tes aspirations passées. Hier soir, tu m’as révélé que tes convictions politiques et tes valeurs humanistes t’ont poussé à défendre le droit de ceux, qui comme toi, vivaient en Espagne en étant dénués de considération. Tu t’es battu pour le droit de tes pairs, grâce à des manifestations culturelles mais également grâce à des actions politiques, comme des grèves de la faim ou des marches contre le racisme.

C’est fou, en y repensant, qu’à l’âge que j’ai aujourd’hui, tu foulais le pavé pour défendre tes droits, tout en devenant le soutien de ta famille au Maroc. Le soutien au moment des mariages, des baptêmes et des enterrements. Je ne me suis jamais demandé ce que ça pouvait faire de quitter son pays, en étant le dernier de la fratrie et atterrir dans un pays où la langue, les coutumes et les habitudes sont totalement opposés à ton pays natal. Et commencer de zéro. Ce zéro, je crois que pour moi, il veut tout dire et rien dire. Dans mon cas, zéro signifie se forger une identité plurielle, revendiquer ses combats idéologiques. Pour toi papa, ce zéro symbolise quelque chose de plus concret, je suppose. C’est savoir se débrouiller dans la vie de tous les jours, pour acheter de quoi manger, se débrouiller pour chercher du travail, sans parler un mot de la langue. C’est mettre ses grandes ambitions de côté. Mais tu m’as appris quelque chose hier soir. Nul de besoin de te regarder avec des yeux de compassion. Ton histoire est commune à beaucoup de nos papas, qui comme toi, ont traversé la Méditerranée pour une meilleure vie. Ton histoire, ton héritage, tes combats, on les porte aujourd’hui, moi, et beaucoup de ceux qui ont un papa comme toi.

Je suis fière de toi Papa.

Soukaïna Skalli

 

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