Serge BOULIER, c’est qui ?
“Je suis un marionnettiste, comédien, auteur, metteur en scène, directeur de théâtre. Un genre d’homme-orchestre qui ne sait pas faire autre chose. Non pas que je n’en serais pas capable, mais je suis trop libertaire pour concevoir le travail comme on veut nous l’imposer. Cela fait que depuis l’âge de 18 ans, je sillonne les routes de France et d’ailleurs pour montrer aux petits enfants et aux grandes personnes des chefs-d’œuvre et des bouses (des fois, je rate). Je mourrai probablement dans les années 2040 d’une flemmingite aiguë contractée dans mon lit, si toutefois un méchant virus ne m’a pas empêché de respirer avant. De toute façon, il n’est pas né celui la… si ! Ha M….. !”
NOVA VILLA et Serge BOULIER c’est une belle histoire...
Une “Mauvaise Herbe” que nous suivons depuis longtemps, un vrai “Bynocchio de Mergerac” avec “Du vent dans la tête”.
Il adore écrire des “Polar Porc” au bord de “La mer en pointillés”.
Aux œufs, il préfère et dirige le BOUFFOU THÉÂTRE à la COQUE, à HENNEBONT dans le MORBIHAN.
Le 26 avril 2020
Cher spectateur inconnu,
Voilà déjà plusieurs semaines que nous ne nous croisons plus.
Je dois avouer qu’après quarante ans de vie commune, cela me pèse.
Par la fenêtre je regarde mon camion immobile avec lequel je sillonne habituellement les routes pour aller à ta rencontre. Il me fait de la peine tout seul le long du trottoir avec sa roue avant calée dans le caniveau.
Mon camion et moi, on se ressemble un peu en ce moment. On est à l’arrêt, chacun de son côté. Lui confiné dehors et moi confiné dedans.
Au début de notre brutale rupture, cher spectateur inconnu, je me suis dit que ce n’était pas bien grave, que nous en avions connu d’autres, et que nous avions toujours su prendre le bon chemin pour nous retrouver.
Je dis « nous », mais c’est souvent moi qui suis obligé de trouver des solutions pour te retrouver. Combien de fois j’ai pesté après les grèves, les nouveaux rythmes scolaires, le prix du baril de pétrole qui grimpe, sans parler du passage à l’euro et de la flambée des notes d’hôtels et de restaurants. Combien de fois ai-je bataillé pour honorer nos rendez-vous galants, pendant que toi tu m’attendais dans la pénombre, confortablement installé dans ton fauteuil rouge…
Mais sache que je ne t’en veux pas le moins du monde. Je sais qu’au-delà de tous ces tracas du quotidien tu as toujours été présent pour m’encourager de tes applaudissements. Je ne te l’ai jamais avoué, mais quand tu applaudis, cher spectateur inconnu, cela me réchauffe, cela apaise mes chagrins et gomme mes fatigues.
J’aime entendre claquer tes mains comme j’aime te voler des rires, comme j’aime regarder tes larmes discrètes lorsque le jour revient. Dans tous ces moments futiles, je nous sens vivant ensemble et tout est possible. Je t’écoute et te regarde à mon tour, l’émotion me gagne, ma respiration hoquette, une buée salée voile mes yeux et là, à ce moment précis, je sais que je suis heureux.
Je m’incline une dernière fois pour remercier la providence de notre éphémère rencontre. Debout sur le bord de scène je te regarde t’éloigner, la porte se referme sur un sourire et déjà je prépare notre prochain rendez-vous.
Alors pour quand notre prochain rendez-vous ? Le sais-tu ? Moi, j’aimerais pouvoir te dire à demain, mais nous sommes tous les deux privés de récréation. Un ridicule ridiculement petit a mis fin à nos ébats. Voilà maintenant sept semaines que je vide des restes de pots de peinture sur les murs de ma maison, que je bricole par ci par là. Et un coup de ponceuse dans l’escalier. Et un coup de tournevis dans la plomberie. Oui ! Je n’avais jamais le temps de faire ça avant à cause de nos multiples rencontres. Mais là, avec mes bistouris de bricoleur, j’ai fait le tour de ma maison et il me tarde de retourner dormir à l’hôtel pour te retrouver dès le lendemain matin dans une salle obscure.
Seulement voilà, nul ne sait où et quand se feront nos retrouvailles. C’est une petite mort qui s’abat sur cet amour singulier. Aurons-nous le courage d’oser nous rencontrer à nouveau ?
Moi, je t’attendrai tremblant d’émotion dans ma loge. Le noir se fera dans la salle. Je guetterai avec appétit tes émotions. Je ferai le pitre pour te faire rire. J’essaierai de te séduire, de te conquérir. Je m’inclinerai devant toi pour te remercier d’être venu. La lumière se rallumera et à l’abri derrière nos masques nous nous reconnaitrons.
Puis nous nous ferons la promesse de nous revoir souvent, pour le meilleur et pour le pire et nous éclaterons de rire.
Voilà ce que je souhaitais partager avec toi. J’espère que tu prends soin de toi comme je me réserve pour toi.
Cher spectateur inconnu, tu es le seul inconnu que je tutoie. Et je dis « tu » à tous ceux que j’aime.
A bientôt se retrouver
Serge BOULIER