Pépito MATÉO est conteur d’histoires, auteur et formateur autour de l’oralité.
Il est un ami de longue date de Méli’môme où il a été invité à maintes reprises.
Il travaille actuellement sur les malentendus de la langue française : “La leçon de français”.
Il publie par ailleurs des petits carnets sur les expressions glanées ici ou là au cours de ses spectacles.

 

Lettre à un ragondin de passage

Cher Ragondin,

Depuis hier, tu es devenu mon ami et pourtant tu ne me connais pas !
Je dirais même que tu ne sauras jamais que je me suis adressé à toi !
Ouvrant ma fenêtre la veille en toute fin du confinement, je t’ai aperçu remontant la Vilaine à contre-courant.
Tu avais l’air de ne pas t’en faire et surtout de n’en faire qu’à ta tête, voguant seul sur l’eau verte et tranquille, de ton allure paisible.
Où allais-tu donc sans aucune autorisation.
Allais-tu chercher ta pitance de première nécessité ? Ou bien à quelque rendez-vous amoureux ?
Sans le savoir, tu me narguais de ta liberté splendide et tranquille.
Tu semblais aller à l’inverse du monde confiné des humains, comme pour manifester que le monde animal entendait reprendre ses droits et la place qui lui était laissée par la nécessité de notre repli.
Tu nageais dans le bonheur de la nature de tout ton cœur, ce qui ne nous est plus permis.
Tu avançais a contrario du temps, de la morosité et de la réalité privée des hommes sans te soucier de mon regard envieux…
Sans même savoir que tu te nommais ragondin dans le langage des humains, ou Myocastor Coypus pour être plus juste, de la famille des Moycastoridae et que tu étais végétarien…
En fait, tu t’en moquais bien, glissant sur l’onde à coups de pattes réguliers !

Tu as fait resurgir en moi un souvenir. Celui d’un gamin de l‘école primaire qu’on appelait de ton nom “Ragondin”, parce qu’il avait les dents en avant et le cheveu dru plaqué sur le front lui cachant presque les yeux.
Ce n’était pas gentil de la part des autres enfants, d’autant qu’il était souvent mal habillé et un peu délaissé, un peu sauvage…
Mais moi, je l’aimais bien pourtant. Il m’intriguait. Il n’était pas comme les autres enfants, ceux qui vont de l’avant. On aurait dit un élève d’une époque arrêtée dans le temps, lui aussi, presque à contre-courant.
Je me suis toujours demandé s’il savait qu’il était différent.
Qu’est-il devenu depuis tout ce temps ? Est-il toujours vivant ? Quel chemin a été le sien ? A-t-il trouvé sa place dans la société des bien-pensants, ou est-il resté le Ragondin d’avant ?

Voilà, ami nageur, ce que je voulais t’écrire, à toi qui sus réveiller un souvenir enfoui dans ma mémoire d’enfant.
Depuis hier, grâce à toi, j’ai l’impression de regarder la vie autrement.
Merci, ami éphémère, d’avoir aussi éclairé ma conscience d’humain, c’est-à-dire d’animal de la nature qui, comme toi, a bien du mal à supporter l’enfermement…
Et qui n’attend qu’une chose : nager dans le bonheur d’être vivant, que ce moment avec toi m’a rendu si important !

Pépito Matéo

 

Newsletter