Cette Lettre à Joël vient de Michel BELAIR, journaliste québécois maintenant retraité qui a couvert Méli’môme pour le quotidien montréalais Le Devoir pendant presque 20 ans.

 

Rivière-Ouelle
11 mai 2020

Cher Joël,

Tu ne le savais pas encore, mais lorsque tu m’as rejoint pour me proposer d’écrire cette lettre, je revenais des bélugas. Du bout du quai en fait qui s’étire dans le fleuve au bas de la falaise, devant la maison.
Ils étaient une trentaine, les bélugas, avec leur bedaine blanche brillant de contentement sous le soleil. À se foutre du virus et à bouffer du capelan en faisant le dos rond ; aussi menacés soient-ils, ça ne sait faire que ce que ça sait faire, les bélugas.
Le rapprochement apparaîtra peut-être bizarre : Joël Simon et béluga dans la même phrase, ça ne sonne pas tout à fait juste. D’autant plus que les bélugas n’ont même pas de moustache… Mais ils sont increvables, quoi qu’il leur tombe dessus, emmerdes en tous genres, virus ou pollutions diverses : comme Joël et sa bande.
Ce sont des résilients, les bélugas. Et vous aussi vous devriez parier sur le fait qu’ils seront toujours là quand nous, tous les humains terrés de la planète, auront appris à vivre avec tous les virus passés, présents et à venir. Ils sont essentiels à leur façon, les bélugas, ils sont partie prenante du spectacle du vivant. Le grand fleuve et toute la Terre survivraient très mal sans eux qui batifolent en bande en croquant du petit poisson dans les eaux froides…
Un peu comme Joël et toute l’équipe de Méli’môme.
Parce qu’ils travaillent eux aussi, on le sait, au spectacle du vivant. Et qu’en nourrissant l’imaginaire des enfants, ils sont essentiels à leur façon en permettant à tout le monde de respirer en rêvant. Ou de rêver en respirant. Au choix.
Bon.
Donc les bélugas qui font partie de ma nouvelle vie de journaliste retraité sur les bords du Saint-Laurent (“pipompom, c’est l’amour, c’est l’amour…”). Et dont la présence s’estompe quand le téléphone sonne.
Puis, comme si un vent de grande marée venait remettre en place des pans entiers de décors connus, la voix de Joël fait remonter le souvenir de tous ceux que j’ai rencontrés à Reims. Âmes sœurs, frères d’armes, complices, proches parfois qui ont, eux et elles également confiné(e)s, répondu à l’appel en écrivant une lettre aussi : François, André, Serge, Christian, Isabelle, Laurent, Gérard et Ève aussi. Des gens qui ont touché, et souvent qui touchent encore, des fibres en moi jusque-là inconnues, essentielles, vibrantes, ayant changé ma vie, oui.
Comme les bélugas aujourd’hui. À coups de tout et de rien. De soleil et de vent. D’eau salée et de vérités premières assénées comme des rafales au bout d’un quai.
Alors j’ai dit oui bien sûr monsieur Simon.

Et j’ai d’abord lu les lettres de ceux dont je me sens toujours proche, puis celles des autres que je ne connais souvent que de nom ou de réputation. Avec le recul des années tout autant que les milliers de kilomètres qui nous séparent, c’est comme si, confiné devant mon ordinateur comme tout le monde, je me retrouvais, en lisant, encore au bout du quai avec les bélugas.
Avec la vie en plein visage. Vraie, touchante sous de multiples facettes, différente, vivante. Résiliente.
Bizarre… C’est toujours, à peu de choses près, l’impression avec laquelle je suis revenu de Méli’môme ou de Questembert pendant toutes ces années. Ce sentiment d’avoir effleuré le vrai dans ses différences. D’avoir touché à quelques bribes d’essentiel encore toutes palpitantes ; communié au Beau et au Bon sous ses visages aussi changeants que multiples.
Brèfle comme disait Ubu, on ne peut logiquement tirer qu’une seule conclusion de tout cela et elle est finalement fort simple. En faisant appel à la créativité de leurs partenaires pour qu’ils stimulent l’imagination des enfants petits et grands, c’est comme si Joël et son équipe ne savaient faire qu’une chose quelle que soit la forme qu’elle prenne. Convoquer le vivant, quel qu’il soit, pour le rendre lisible au plus grand nombre.
Ces lettres en sont une preuve de plus.

Michel Belair

 

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