Lucie AZEMA est autrice et journaliste.
Voyageuse au long cours, elle a vécu au Liban et en Inde avant de s’installer à Téhéran en 2017.
Elle écrit pour Courrier international et sortira bientôt son premier livre (mais c’est une surprise, vous en saurez bientôt davantage).
Lucie a participé à notre colloque sur les LANGUES dans le cadre de FARaway en février dernier.

 

À ma fenêtre,

La magie de la langue fait que quand je m’adresse à toi en écrivant l’en-tête de cette lettre, cela signifie aussi que je suis avec toi. Cette ambiguïté te va assez bien, puisque tu es présente par ton absence – tu existes par ce que tu n’es pas : les murs.

Les murs de cette chambre, j’en connais tous les détails maintenant. La moindre imperfection, la moindre fissure, la moindre tache, les endroits où les couleurs sont passées. Mais toi, tu changes chaque jour d’humeur, de couleur, de musique, de climat. Tu es le seul petit cadre par lequel il se passe des choses.

Je suis l’oiseau en cage. Et entre deux barreaux, il y a toi. Moi qui ai toujours adoré marcher le soir dans les rues et observer toutes ces fenêtres allumées, tous ces petits points lumineux qui forment la constellation de nos intimités, je me suis fait prendre à mon propre piège. Le monde s’est renversé, c’est maintenant de l’autre côté que j’observe – du monde intérieur vers le monde extérieur.

Mais je dois t’avouer quelque chose. Tu n’es pas la seule fenêtre de ma chambre. Il en existe beaucoup d’autres. Elles se multiplient à l’infini. Ce sont les livres.

Ne te vexe pas, mais les livres ont un pouvoir en plus sur toi : ce sont des passages secrets vers d’autres mondes, ils m’emmènent encore plus loin. Grace à eux, je peux être une pirate en mer de Chine, une marchande de café en Ethiopie, une aventurière dans l’Himalaya. Je me faufile chaque jour par un nouveau détroit, je saute d’île en île, de mer en mer, je repousse tous les murs de ma chambre. Avec eux, mon confinement devient un sous-marin qui m’emmène vers des endroits inconnus.

Je me réjouis de la réouverture prochaine des bibliothèques et des librairies. Même si je serai toujours confinée jusqu’à ce que les frontières réouvrent, je sais qu’avec toi et avec les livres, je pourrai toujours trouver le moyen de m’évader.

Bien à toi,

Lucie Azema

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