Gillian GENEVIEVE a 45 ans.
Originaire de l’Ile Maurice, il est enseignant, poète et nouvelliste.
Il est papa de trois garçons.
Il a reçu le prix de la poésie Édouard MAUNICK en 2017.

 

13 mai 2020

Ilian, Alexandre, Adrien, mes enfants,

Oui, je sais que vous avez peur.

C’est le temps de l’incertitude, c’est le temps de l’angoisse, du repli sur soi comme du désir de l’autre ; c’est le temps de la contemplation, de l’aspiration au mouvement ; c’est le temps du repos, de l’ennui, du sommeil trop long, mais aussi du dialogue incessant avec soi dans une remontée de la mémoire ; c’est le temps, enfin, d’une confrontation radicale avec le présent, dans le temps de la rêverie qui émane de l’espérance.

Oui, mes enfants, c’est le temps du trop-plein comme du vide ; c’est le temps de la méditation et du constat ; c’est le temps de la remise en question, du doute, des réponses à trouver.

Mais, vous savez, c’est aussi le temps de l’admiration : de ces êtres qui soignent, de ces êtres qui protègent, de ces êtres qui décident, de ces êtres qui cherchent ; de ces hommes et de ces femmes, souvent volontaires, qui se mettent entre le virus et nous par le biais des soins, des patrouilles, de la stratégie politique et de la science.

Vous avez peur et je n’imaginais pas ce moment comme salutaire ; il est atroce de le dire, mais il l’est.
Je devine votre stupeur. Mais, comprenez-moi, non, papa n’est pas devenu fou. Juste, après des années, je me retrouve et je retrouve mes mots. Et, surtout, je vous retrouve, vous.

Mais, il s’agit de ne pas oublier le tragique.
Alors il faut le dire, l’écrire, le nommer.
Pour mieux le confronter, le vaincre.

Non pas pour affirmer la préséance de la condition humaine sur les forces de la nature, mais au nom de la survie.
De l’espèce, de sa mémoire, de son destin.
À sa juste place. Ni plus bas. Ni plus haut.

Alors, j’écris ces mots comme un chant d’espérance.
Malgré la peur. La laideur. La mort.

Je dirai malgré tout que cette vie est belle.

Au-delà des nuages et de leurs arabesques, au-delà du chant incessant des oiseaux, au-delà de ce silence qui nous fait redécouvrir la musique de l’essentiel, il y a aussi le spectacle fabuleux de l’homme qui se remet debout pour affronter le danger, l’homme qui s’oublie et qui, paradoxalement, par le biais des gestes barrières, se relie avec force et désespoir à l’autre.

On découvre, mes enfants, dans la solitude et le confinement, les traits de la destinée humaine : on est des êtres de bien, de lien et d’amour.

On s’aime, et c’est tout ce qui compte.

Papa

Newsletter