Eve LEDIG dirige la compagnie LE FIL ROUGE à STRASBOURG.
Notre compagnonnage a commencé avec Eve en 2004 avec “Les Petits Plis“, un spectacle qui avait suscité des interrogations et nous avait enchantés, même plus…
Chacun a en mémoire “Des joues fraiches comme des coquelicots”, “Fratries”, et “Enchantés”, un bijou pour les tout-petits…
Eve est une artiste référente pour le “jeune public”.
Nova Villa lui a consacré un ITINÉRAIRE, le n° 3.

 

Cher, chère…,
 
Je m’y suis reprise plusieurs fois déjà. Je commence à écrire, et puis après, rien.
La suite ne vient pas.
 
Le temps passe, j’ai promis que je finirai cette lettre dimanche.
C’était hier, dimanche.
Aujourd’hui nous sommes lundi.
Encore un début où je peine pour la suite.
 
Ce temps suspendu, que je vis plutôt bien d’ailleurs, ouvre au fil des jours des perspectives inattendues, offre des joies comme dans des pochettes surprises.
Mais de ce temps suspendu je n’ai pas grand-chose à en dire.
Ou alors il me faudrait faire beaucoup d’efforts, faire le tri dans mes pensées, mes embryons de pensées. Qui finissent par s’effilocher et disparaitre.
 
Ça m’embête.
J’entends ici et là des choses dans lesquelles je me reconnais, avec lesquelles je m’attriste, ou me réjouis, ou m’indigne. Des choses qui me mettent dans une colère sourde, contenue. Mais je ne sais pas quoi dire.
La confusion que je ressens est grande et supportable.
 
Je profite des roses. Du parfum, des couleurs, de la beauté des roses de notre petit jardin.
Tous les jours, je salue les fleurs comme je ne l’ai jamais fait.
Je salue le vent, les arbres, les chants et les vols des oiseaux. Je salue le vert-printemps qui n’existe qu’au printemps et qu’il faut attendre un an pour le retrouver.
Vert tendre.
 
J’ai toujours aimé attendre. Attendre ce que j’aime. Ceux que j’aime.
Désirer.
J’ai toujours aimé les fruits de saison, surtout quand les saisons sont courtes.
Les cerises, les fraises, les framboises, les abricots mûrs.
Maximum trois semaines, et hop, fini, à l’année prochaine !
 
J’aime l’attente, la promesse.
 
Et là, on attend. Chacun sur son petit territoire peut se bouger, se démener, ranger, travailler, donner du temps, de l’affection aux autres… mais on attend.
Promesse de quoi ?
 
C’est cela qui est étrange dans cette parenthèse, ce “suspend”. Tout a l’air à peu près normal, et pourtant nous savons que cela ne peut pas durer.
Cette parenthèse que nous vivons pourrait être une science-fiction.
 
Comme les oiseaux, les fleurs, le vent, on entend tous les jours les enfants dans les jardins. Jamais ils n’ont été si présents. Jamais nous ne les avions entendus jouer, chanter, se disputer, rire… si souvent, si longtemps.
 
Parfois ils passent avec leurs parents, dans la rue.
Devant chez nous, ils s’arrêtent un peu et on parle.
 
Je demande à Rosalie, que j’entends tous les jours jouer à la Barbie, avec sa petite sœur Anaïs, derrière la haie mitoyenne de notre jardin “Tu es en quelle classe ?”.
Je vois que ma question l’embarrasse un peu. Alors elle réfléchit un moment, pose son regard dans le mien, et avec l’assurance tranquille des enfants :
“Quand le microbe sera parti, j’irai au CP”
Promesse pour Rosalie à la fin de l’été.
 
Plus d’avions dans le ciel.
De temps en temps comme un gros bourdon vrombissant passe un hélicoptère. Mais tant d’oiseaux, tant d’oiseaux… quelques fois même des cigognes, majestueuses et tranquilles planent dans “Le ciel par-dessus les toits, si bleu, si calme”.
Le ciel à nouveau aux oiseaux. Pour combien de temps ?
 
Eve Ledig
6 mai 2020

 

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