Eleonora RIBIS est arrivée à Nova Villa en 2012 comme stagiaire avec le programme Erasmus dans le cadre de ses études.
Stage qu’elle a partagé entre le Festival Méli’môme et la compagnie La Boîte Noire d’André Parisot.
Cette expérience a été tellement importante dans son parcours qu’elle a choisi de s’installer en France en 2013.
Après avoir été artiste accompagnée par La Minoterie/L’Artifice à DIJON -avec qui elle a monté aussi le projet des Histoires au téléphone– elle a créé sa compagnie Melampo en 2017. Sa nouvelle création Les Petites vertus devait être accueillie à Méli’môme 2020, ce sera pour 2021.
Elle est la maman de Zeno qui a vu son premier spectacle à Méli’môme 2019.
Cher Paul,
On ne se connaît pas. Je ne connais que ta voix.
Je t’ai lu une histoire il y a quelques jours, au téléphone. Depuis la deuxième semaine du confinement j’appelle des enfants comme toi et je leur lis Une histoire au téléphone de Gianni Rodari.
Tu sais, en lisant ces histoires, j’ai commencé pleine d’espoir et d’envie de changer le monde car j’avais l’impression de faire quelque chose pour mon pays, l’Italie, qui était en plein orage. Le premier pays frappé de plein fouet par le virus en Europe.
Quand je t’ai appelé, Paul, je t’ai lu une première histoire.
Ces histoires sont un peu courtes car Gianni Rodari imagine qu’on les lise au téléphone.
Tu m’as dit : « Elle était vraiment courte celle-là ».
Alors même si ce n’était pas prévu je t’en ai lu une autre.
Et à la fin tu m’as dit « Merci elle était bien l’histoire » et moi je t’ai dit bonne nuit.
Tu sais, Paul, je ne vais pas très bien depuis un petit moment. J’ai très mal au dos.
Cela m’est déjà arrivé deux fois, à des moments où j’étais très fatiguée. Et je l’étais avant le confinement.
Dans ces deux dernières années j’ai beaucoup travaillé et j’ai eu un bébé qui est plus petit que toi. Il a 18 mois et il commence à peine à parler, un peu en français et un peu en italien.
Mais je ne me suis jamais arrêtée, c’était impossible car même dans un beau métier comme celui que je fais, imaginer et créer des spectacles, comme ceux que tu as vus à la Minoterie et dont tu m’as parlés, le rythme est très rapide. On ne peut pas s’arrêter. Les choses vont très vite.
T’imagines, Paul, qu’avant le virus et le confinement je savais ce que j’allais faire pendant les deux prochaines années chaque jour ? Mon agenda était tout le temps rempli.
Cela me rassurait. Mais si j’y pense aujourd’hui cela me semble un peu fou de vivre deux ans à l’avance.
J’étais tellement fatiguée, Paul, que je ne prenais plus de plaisir dans mon métier. Et pourtant il n’y a rien que j’aime de plus au monde que regarder les enfants comme toi qui regardent un spectacle. Vos yeux partir dans des territoires lointains qu’on ne connaît pas et qu’on ne peut que deviner…
Je l’aime tellement ce métier Paul que j’ai quitté mon pays, ma famille et mes amis pour pouvoir le faire mieux, pour apprendre encore.
Mais avant le confinement je n’étais plus sûre que cela me rende heureuse car c’était trop. Trop fatigant de devoir être toujours prête dans le présent et en même temps toujours à projeter la suite.
Je t’écris aujourd’hui Paul pour te remercier.
Toi et aussi un peu le confinement et le mal de dos.
Le soir où je t’ai lu les histoires j’étais montée au grenier avec mon téléphone car mon enfant ne dormait pas encore et il faisait du bruit. Et sous le toit ce soir-là j’ai eu un grand plaisir à te raconter ces histoires. C’était très silencieux dans mon grenier. La voix résonne un peu et je t’avais mis en haut-parleur.
Un grand plaisir à écouter ton souffle de l’autre coté du téléphone qui suivait les paroles. C’était si simple ce lien et j’ai pensé que tout était là. La raison pour laquelle je fais ce métier. Le rythme de ton souffle qui écoute une histoire.
Merci Paul de m’avoir donné envie de te lire une deuxième histoire. Même si ce n’était pas prévu. Elle s’appelle La route qui n’allait nulle part. C’est ma préférée.
Dans cette histoire Martin Têtedure prend en premier une route que personne n’a jamais pris. Et il y trouve un château et un trésor mais qui n’existera que pour lui, qui était le premier.
J’aimerais te dire aujourd’hui, Paul, que j’espère ne pas recommencer mon métier comme avant. Je n’ai pas du tout envie de retrouver mon agenda qui a disparu quelque part dans mon bureau. De seulement déplacer des dates, refaire des calendriers et reprendre comme avant.
J’espère et je crois qu’on est nombreux à avoir ce sentiment là. Et j’espère que cette période nous donne le temps de réfléchir. De discuter entre nous. Je crois qu’on a le devoir de s’interroger.
J’espère que comme Martin Têtedure on aura le courage de prendre des routes nouvelles et de se dire que les vieilles ne partent plus dans la bonne direction.
En tout cas moi, cher Paul, je veux recommencer mon travail, quand le moment viendra, à partir du rythme de ton souffle. Et j’espère de ne pas l’oublier après.
Eleonora Ribis