Pascal BRULLEMANS est un auteur québécois.
Il vit à MONTRÉAL où il a suivi sa formation en écriture dramatique à l’École Nationale de Théâtre.
NOVA VILLA l’a très souvent accueilli à REIMS, pour des actions artistiques, des temps de résidence, des lectures et aussi ses textes de théâtre mis en scène, entre autres ISBERG, VIPÉRINE, et le dernier PETITE SORCIÈRE.
Cher Théâtre,
Je t’écris en ayant conscience d’être privilégié. Je suis en santé. Ceux que j’aime sont en sécurité. Je vis dans un pays qui offre un système de soins universel et un filet social. J’ai le sentiment que mon gouvernement comprend la situation, qu’il agit raisonnablement, en prenant l’avis des scientifiques, sans infantiliser la population. J’ai aussi l’avantage de vivre dans un coin du monde aux hivers rigoureux qui prédisposent au confinement. Nos espaces et nos esprits sont préparés pour cette éventualité. Malgré la mort qui rôde, nous gardons la tête froide.
Une forme de lenteur s’est installée sur la ville. L’absence de moteurs donne à entendre les chants d’oiseaux. Marchant le long des rues, je suis fasciné par l’attitude des gens. Même dans les files d’attente qui s’étirent devant les commerces, les gens gardent le silence ou échangent à voix basse. Pourquoi cette atmosphère de fin du monde provoque-t-elle en moi un sentiment d’apaisement ? Peut-être parce qu’elle s’accorde avec un état d’esprit qui m’habite.
Ces dernières années, nous parlons beaucoup de décroissance. C’est un enjeu qui préoccupe également mes enfants. Ensemble, nous essayons de trouver des solutions pour réduire notre consommation. J’ai aussi pris conscience d’une certaine fatigue liée au travail. Même en culture, nous enchaînons les projets à une vitesse qui exige un niveau constant d’efficacité. Quand j’en parle autour de moi, la majorité des gens partage ce sentiment. Mais lorsque nous évoquons la possibilité de changer nos habitudes, les discussions débouchent sur une impasse, comme si le problème était insoluble. Et puis voilà que tout d’un coup, nous y sommes. Ce qui semblait impossible hier se réalise sous nos yeux, donnant l’impression que nous participons tous à un exercice d’incendie planétaire.
La pandémie agit comme un révélateur de nos failles. Elle court-circuite les institutions contaminées par l’obsession du rendement. En plaçant la croissance au sommet de nos priorités, nous concédons le pouvoir à un type de gouvernance qui réfléchit en fonction d’une logique économique, mais qui est incapable de réagir efficacement face à une catastrophe qui bouscule ses modèles, exposant les populations au danger. Mais cette crise génère une situation inédite qui demande d’imaginer d’autres solutions que celles qui prévalaient dans l’ancien système. Il sera intéressant de voir dans quelle mesure nous saurons tirer des leçons de cette crise, de remettre en question nos anciennes croyances, de faire advenir un véritable changement.
Cher Théâtre, malgré tous mes privilèges, je dois avouer que j’ai eu un petit coup de cafard en entendant mon premier ministre avouer qu’il faudra encore plusieurs mois avant de revenir à la normale (et quelle normale au juste ?) Cela signifie qu’on ne verra pas les salles de spectacles ouvrir avant longtemps. En attendant nos retrouvailles, je m’applique à faire ce que je fais le mieux, soit chercher, expérimenter, et créer en essayant de repenser mon lien à l’autre. Je crois bien que nous en aurons besoin tous les deux.
Cher Théâtre, j’ai hâte de te revoir pour partager à nouveau ces moments collectifs, cette joie de vivre et d’être ensemble.
Pascal Brullemans