Amandine F. D. est maman de deux enfants, c’est une spectatrice de Méli’môme.
Rémoise de 33 ans, elle est professeure des écoles.
Elle aime les concerts, les livres, les spectacles, les gens… !
Reims, le 15 avril 2020,
À vous 3,
En cette période inédite qui deviendra historique, je m’excuse de ne pas écrire sur le courage des travailleurs hospitaliers ou bien des effets positifs de cette accalmie que nous offrons enfin à la faune et à la flore. Ces mots qui sortent de « je ne sais où » sont plus personnels, égoïstes et naïfs que ce que je souhaiterais car autocentrés sur ma bulle. Une bulle qui inéluctablement sera éphémère…
Ce confinement me donne l’occasion de me plonger plus intensément sur une photo en noir et blanc. Impossible de la regarder sans que ma vue ne se trouble et que mes lèvres ne tremblent. Sur cette photo, ma fille, moi, ma mère et puis ma grand-mère. C’est à ces trois générations de femmes qui m’entourent que j’écris cette lettre.
Mamie, s’il-te-plait, pardonne-moi. Je n’arrive plus à prononcer ton prénom depuis ton départ. Ma propre fille également ne le prononce plus en ma présence. Elle redoute de voir encore mon visage se crisper et mes larmes couler. Tu me disais toujours d’arrêter de pleurer mais j’ai arrêté d’essayer d’arrêter ! Pas un seul jour depuis ton envol où je ne pense pas à toi. Dis-moi mamie, combien de temps mon cerveau mettra pour intégrer cette nouvelle vie sans toi ? Combien de temps encore vais-je prendre mon téléphone en me disant « Tiens je vais appeler mamie. » ? Combien de fois, vais-je être à deux doigts de demander de tes nouvelles à maman avant de réaliser l’absurdité de mes pensées ?
Combien de couchers passerai-je encore à te pleurer au moment de fermer les yeux ? Combien de nuits devrai-je encore étouffer mes pleurs dans mon oreiller pour ne pas réveiller mon homme à mes côtés ? Combien de fois serai-je jalouse de mon mari qui parle au téléphone avec sa « abuela » ? Combien de fois, ma fille me demandera « Tu es triste maman, tu penses à elle ? » Combien de fois devrai-je lui mentir et lui dire que tout va bien ? Quand pourrai-je vivre sereinement avec ton souvenir ?
Maman, nous sommes tellement différentes. Tu es discrète, je suis bruyante. Tu es bonne cuisinière, je le suis beaucoup moins. Tu es casanière, je suis voyageuse. Tu es réfléchie, je suis sanguine. Nos différences nous ont éloignées à partir de mon adolescence et ce jusqu’à ma première maternité. Quand je suis devenue mère, j’ai compris en quoi nous nous ressemblions. Depuis, nous sommes plus proches, plus complices. Merci d’être une mère et une grand-mère aussi aimante. Pendant ce confinement, tu es seule avec papa, sans tes 3 enfants et tes 7 petits-enfants. Toi qui vis pour les autres, c’est rude de supporter notre absence. Heureusement, tu as conscience que celle-ci est temporaire. Alors pourquoi suis-je si inquiète pour toi ? Peut-être parce que je sais que ton combat actuel n’est pas de combler notre absence. Non, ton dessein est d’accepter la mort de ta mère, ma grand-mère, son arrière-grand-mère.
Ma fille, merci d’être aussi résiliente face à cette situation. Toi qui a fêté tes 4 ans en confinement, tu vis les choses simplement, oserai-je même dire avec philosophie. Ta joie de vivre, ton intelligence, ta curiosité et ta malice me surprennent chaque jour un peu plus. Certains penseront que je suis aveuglée par mon amour maternel mais non c’est juste parce qu’ils ne te connaissent pas. Mon ange, mon amour, tu es la fille que j’ai toujours rêvée d’avoir. Vivre ces journées qui se ressemblent à tes côtés est tout simplement une parenthèse heureuse que je mesure chaque jour par tes éclats de rire et tout l’amour maternel que je lis dans tes yeux. Nos plaisirs simples du moment, jouer au bateau pirate dans le hamac, être sur notre balançoire et toucher le ciel avec nos pieds tout en criant à l’unisson « C’est ça le bonheur ! ».
Le confinement pour moi, c’est donc trois sentiments ; la souffrance, le regret et la joie. La joie d’être avec ma fille. Le regret de ne pas pouvoir être plus présente pour ma mère. La souffrance d’avoir le temps d’écrire ces lignes et de prendre encore plus conscience de la perte à jamais de ma grand-mère, un être cher et irremplaçable.
Les trois hommes de ma vie, mon fils, mon mari et mon papa, ne soyez pas jaloux, ma prochaine lettre sera pour vous…
Amandine F. D.