Tout en poursuivant son parcours de comédienne, Corinne MÉRIC crée la compagnie Bande d’Art et d’Urgence en 2009.
Elle vit à LYON.
Ses créations s’appuient sur les écritures contemporaines, qui questionnent les choix intimes et collectifs.
Elle s’intéresse plus particulièrement aux questions de l’adolescence.
La collaboration avec les auteurs tient une place importante dans son travail de création.
Au Festival Méli’môme, elle a joué “Alphonse” de Wajdi Mouawad, puis “Monstre(s)” de Pascal Brullemans.

 

Le 13 mai 2020

Chère petite fille en noir et blanc,

J’écris ces mots au dos de ta photo.
Tous les matins, pendant plusieurs semaines, je te trouvais posée au même endroit, en équilibre sur le dossier du canapé rouge.

Dans ton vieux cadre en bois, tu m’observais, avec ton regard doux, et ton sourire moqueur aux dents de lait.
Tu semblais me dire :
“Tu l’avais pas prévu ce printemps-là, hein ?! Tu pensais pas qu’un jour tu tracerais au compas un petit cercle sur un plan, pour partir en promenade autour de ton quartier, le masque de Fantômette sur la bouche. T’aurais pas cru possible de savonner tes courses, tu n’imaginais pas la campagne à la ville, et la ville qui s’endort en plein milieu du jour ;
tu l’avais pas prévu ça, de plus voir tes amis, pour une histoire de vague qui allait arriver. Eh oui ! T’es bien embêtée maintenant, tu sais plus trop quoi faire …”

Aujourd’hui, le vent tourne. Dehors, les pots d’échappement ont fait fuir les oiseaux, les amis se retrouvent, la ville en parenthèses doucement se réveille, Fantômette est partout.
Et toi, dans ton vieux cadre en bois, avec ton regard doux et ton sourire moqueur aux dents de lait, tu m’observes toujours.
A quoi rêvais-tu au moment où le photographe a pris la photo ? Juste avant qu’il te dise le petit oiseau va sortir ?
Je t’imagine, au présent de ton printemps en noir et blanc, impatiente de grandir dans le monde en couleurs. Je m’approche du cadre sans te quitter des yeux, j’essaie de deviner derrière ton regard doux et ton sourire moqueur aux dents de lait, un secret que j’aurais oublié, comme une réponse à mon printemps bien embêtant.

Et là, j’entends un bruit d’oiseaux, soudain, les couleurs de mon monde s’estompent, le canapé rouge pâlit, et je te rejoins dans la douceur du noir et blanc de mon enfance.
Tranquilles, nous regardons le photographe, nous rêvons de demain, et nos printemps, pour un instant d’éternité se rejoignent.

Je t’embrasse petite fille en noir et blanc, prends soin de ton enfance.

Corinne Méric

 

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