Amir HASSAN est palestinien de Gaza. Il a 29 ans.
Il vit à Paris depuis 6 ans où il a travaillé dans l’enseignement, la culture et aujourd’hui dans les médias.
Il aime marcher, aller au cinéma et lire les journaux.
RADIO LIVE nous a permis de découvrir Amir.
Quelle rencontre !!! Quel parcours de vie !!!
Nova Villa l’a invité à rencontrer de nombreux collégiens.

 

Chère Cécile,

J’espère que tu vas bien dans le Sud de la France, cette région chère à mon cœur, car c’est la première région que j’ai découverte quand je suis venu en France pour la première fois, suivre un stage linguistique de 3 semaines. Le Sud, quelle beauté ! Quand je sortais de la maison, je voyais les rues fleuries, les toits roses, le ciel décoré de quelques nuages comme des robes de mariage, et plus loin je voyais les Pyrénées. Je savais que la mer n’était pas loin, je pouvais l’entendre dans mon cœur. J’avais le sourire de la Méditerranée. Un jour, j’ai dit à la dame chez qui j’étais hébergé : ici, c’est le paradis. Elle m’a regardé et elle n’a rien dit. Bizarre qu’on ne dise rien sur le paradis. J’avais l’habitude de me dire : ce sont les Français, ces âmes discrètes que je ne comprends pas.
Parce que dans le monde arabe les gens parlent et disent tout. Ils expriment leur joie, ainsi que leur colère et peut-être un peu trop. Et moi, ayant la colère silencieuse, j’oublie que je l’ai. Alors j’exprime souvent ma joie. Et cette joie paraît toujours grotesque à mes amis français qui sont souvent des êtres réfléchis et discrets. Une élégance de timidité et de silence. Une élégance française.

Je sais que les gens sont inquiets, et c’est normal. Personne ne sait ce que l’avenir sera. Moi aussi, j’ai peur de voir davantage de gens dans la misère et le désespoir. Mais encore une fois je vais être grotesque, je vais être réaliste et parler de la beauté, car elle est réelle.

Je viens de regarder un film documentaire de six épisodes sur la Seconde guerre mondiale et je fus frappé par la violence que le monde a produit et fait subir. Cela semble inimaginable aujourd’hui. Je me demande comment on a pu faire cela. Des crimes contre l’humanité, des millions de morts, des villes complètement rasées, des bombes nucléaires. Comment ce fut possible ? Peut-être cette naïveté d’indignation de ma part 70 ans après est la preuve que le monde a beaucoup changé depuis et que la violence disparait de plus en plus de nos sociétés. J’ai eu la même indignation il y a 2 ans lorsqu’au cinéma, avec une amie de 60 ans de plus que moi, on venait de voir un film sur la ségrégation aux États-Unis ; je n’en revenais pas. Mon amie, elle, n’en revenait pas de ma réaction. C’est encore une nouvelle preuve que le monde a changé.
Oui, encore aujourd’hui le monde est imparfait. Mais le monde est étonnant. Il y a toujours cette étincelle qui naît chez un enfant qui sait qu’il faut que demain soit meilleur.
Pour la première fois, on assiste à une prise de conscience mondiale du Chili jusqu’au Japon sur l’écologie, l’égalité et les droits humains. C’est révolutionnaire.
On est sur le chemin. Certes le chemin est long mais nous avons des pieds et nous avons conscience que les défis que nous avons traversés depuis la Seconde guerre mondiale sont immenses et qu’il faudrait qu’avec la même volonté, on puisse avancer ensemble.

Depuis que j’ai quitté Gaza, je me demande : si je fais ceci ou dis cela : que diront mes amis à Gaza. J’ai alors appris à ne pas me plaindre. Lorsqu’il a fallu me confiner, j’ai pensé à mon premier confinement avec ma famille fin 2008, 21 jours pendant la guerre. Sans eau, sans électricité, sans supermarché, sans gaz et sous les bombes. On passait notre temps à écouter la radio à piles. Le choc fut immense à la sortie de la guerre. On a vu l’ampleur de la destruction de la ville. C’était tellement triste que les larmes ne pouvaient pas couler. Ce qui m’a le plus choqué, c’était que je ne pouvais pas croire que des êtres humains pouvaient faire cela. Je me disais tout le temps : mais quel gâchis ! Quel échec !

Le confinement à Paris semble comme un rêve. Travailler à la maison, regarder le ciel depuis la fenêtre, marcher une heure par jour et rêver de l’avenir. C’est un confinement doré. Et face à la mort, je dirais : au moins, il y a eu ça. J’ai l’impression de vivre dans le film de Paolo Sorrentino, La Grande Bellezza (la grande beauté) où il filme Rome déserte. Il n’y a que les fontaines qui coulent et les rayons de soleil qui se reposent sur les pierres des monuments. Quand je sors de chez moi, je vois une ville allongée sur la ligne du temps, profitant d’un avril ensoleillé d’une rare beauté.
Je garderai pour toujours le souvenir de cet avril. Je ne peux oublier cette beauté. Le temps est suspendu et chacun est face à sa vie. Que restera-t-il d’un monde s’il disparait ? Pour moi, il restera les souvenirs de l’arrivée à Rome le premier jour de l’été et de voir Paris endormi en mois d’avril.
Quant à demain qui semble illisible depuis aujourd’hui, j’emprunte les mots de René Char qui disait : « Résistance n’est qu’espérance ».

Amir HASSAN
30 avril 2020

 

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