Guy BOLEY est auteur, il vit à MESNAY dans le DOUBS.
Il a fait plein de métiers différents : maçon, ouvrier d’usine, chanteur des rues, cracheur de feu, directeur de cirque, funambule à grande hauteur…
Il a publié 2 romans chez Grasset : “LE FILS DU FEU” et “QUAND DIEU BOXAIT EN AMATEUR”.
Ces 2 romans ont reçu de nombreux prix, dont pour le second le Prix Sport Scriptum 2018, récompensant le meilleur ouvrage de l’année consacré au sport, décerné par l’Union des journalistes de sport en France.
Pour Nova Villa, Guy BOLEY a suivi à REIMS les 6 matchs de la Coupe du Monde de Football Féminin.

 

Aux enfants des villages, des villes et des rues, des champs, des paysages, des ruelles, des montagnes, des plaines et coteaux, de France ou d’Alaska, de Chine, du Kamchatka, de Bahia ou Pékin, aux enfants trop vêtus, à ceux qui vivent nus, à tous ceux qui n’ont rien, à ceux qui ont de trop, aux enfants aux yeux noirs ou à ceux blancs de peau, aux enfants aux yeux bleus et ceux à la peau noire, aux blondes, aux rousses, aux brunes, aux blonds, aux roux, aux bruns, aux enfants qui sourient ou à ceux qui soupirent, aux enfants en jupette, à ceux en pantalon, en short, en mocassins et même aux petites filles qui s’amusent à marcher sur des talons aiguilles en se tordant les chevilles, à tous ces enfants-là qu’on nomme ceux du monde, je voudrais raconter une petite histoire.

J’étais en train de confectionner, avec ma petite-fille, un gâteau aux noix. C’était pendant ce temps qu’on nomma confinement, ma petite-fille vivait avec nous, à la campagne, profitant de l’espace, du jardin et de ses grands-parents, le temps que le virus se mette un masque sur le nez, prenne ses bagages pourris et s’en aille habiter, les valises à la main, un autre monde que le nôtre.

On venait tout juste de commencer, elle et moi, notre gâteau : farine et œufs dans un saladier, cuillère en bois, on touille en tournant du poignet, tout le monde connaît la chanson.
C’était l’après-midi. Ma petite-fille m’avait demandé, le matin, si elle pourrait regarder un film dans la journée, et j’avais répondu qu’on verrait bien comment la journée allait se dérouler, qu’on allait laisser les heures s’installer une à une dans le fauteuil du désir et qu’on userait d’elles au gré de nos envies.
Elle continuait à touiller la pâte dans le saladier, on ajouta un soupçon de beurre, puis quelques cerneaux de noix qu’on tria afin de ne pas se retrouver avec des morceaux de coquilles dans le bec quand on en mangerait, et, tout en cuisinant, par trois fois elle me demanda si elle pourrait ensuite aller regarder un film.

Alors je lui ai demandé d’interrompre la confection de notre petit gâteau, de venir s’asseoir sur mes genoux et de m’écouter.
Je lui ai parlé du Japon, un pays dans lequel je m’étais rendu il y avait une bonne trentaine d’années et où j’avais découvert et appris plein de choses, notamment ceci : quand on fait une chose, il ne faut rien faire d’autre que cette chose. Quand on fait un gâteau aux noix, par exemple, il ne faut pas penser au film qu’on verra peut-être après, ou peut-être pas, car le désir que l’on va créer, dans sa tête, va gâcher le plaisir de faire un gâteau. Il ne faut pas se dire, au fond de soi “Il me tarde de finir mon gâteau pour aller voir un film” ; il faut se dire “Qu’est-ce que c’est agréable de faire un gâteau avec son papy”, et vivre pleinement ce moment qui ne se reproduira que très peu tout du long d’une vie, puisque le papy vieillit et que l’enfant grandit.
Je lui ai dit ensuite qu’il fallait, dans sa vie, qu’elle essaie de vivre ainsi chaque moment qui passait, qu’elle prenne conscience de la beauté de chaque instant, qu’elle jouisse de ce plaisir de vivre qui fait que nos yeux voient, que nos mains bougent, que nos cœurs battent. Qu’elle ne veuille surtout pas, en vivant une chose, vouloir en vivre une autre. Qu’elle ne devienne pas une adulte sans appétit face à un caddie rempli de nourriture. Je lui ai cité la phrase d’un écrivain que j’aime beaucoup, qui se nomme Nicolas Bouvier, et qui lui aussi habita au Japon : Le simple fait d’être au monde remplissait l’horizon jusqu’aux bords. Je lui ai expliqué le sens de cette phrase, puis je lui demandé : “Tu as compris ?” Elle m’a répondu : “Oui. Quand je fais un gâteau, je fais un gâteau, et après, quand j’irai voir un film, je penserai que je suis en train de regarder un film.” Puis elle a conclu : “Mais là, je crois bien que je suis en train de penser que j’ai envie de te faire un bisou et que je ne vais penser qu’à ça en te faisant un bisou.”

Après le bisou, on a fini le gâteau aux noix qu’on a enfourné, et pendant que le gâteau cuisait, je suis allé lui mettre un film qui racontait la vie de Bouddha, celui qui m’a appris qu’il ne fallait faire qu’une seule chose à la fois, même s’il ne s’agissait pas nécessairement d’un bisou à papy ou d’un gâteau aux noix.

Guy Boley

 

Newsletter