Sophia HOCINI est autrice à ses heures perdues et militante active pour les droits humains.
Elle est arrivée à 7 ans d’Algérie, sa famille a fui le terrorisme, elle a tout de suite décidé que la France serait son pays.
Nova Villa a rencontré Sophia avec RADIO LIVE et le film “LA BANDE DES FRANÇAIS” où elle était l’une des 4 jeunes de ce documentaire…

 

Paris, le 12 mai 2020

Cher-e futur-e nièce ou neveu,

Voilà on y est. Nous sommes censés être entrés dans le monde d’après. Ce monde que l’on nous a décrit en long, en large et en travers. Il aura fait couler l’encre et pleuvoir un torrent de tribunes, les unes moralisatrices, les autres pleines d’idées que l’on se rabâche depuis des décennies sans la moindre once d’action.

Dehors, les premières minutes, j’étais comme pétrifiée. Il ne se passait plus rien. La rue était juste passante. On s’arrête peu, on ne voit plus les visages, on n’entend plus tellement les voix. Seules les voitures encombrent encore nos oreilles.

Je me suis assise sur un banc, la gorge sèche, parce que tout à coup je prenais conscience des nouvelles règles qui allaient rythmer nos vies. Ça fait un peu mal au ventre quand même.

Quelle est cette idée de la Cité qui veut imposer la distanciation sociale comme principe fondateur des nouveaux liens humains.
Quelle est cette idée de la Cité qui nous rappelle à longueur de journée les gestes barrières qui ne font que nous éloigner un peu plus de l’autre.
Quelle est cette idée de la Cité dont les écoles sont orphelines de la plupart de ses enfants, les uns encore confinés chez eux, les autres isolés dans le petit carré qui leur est réservé sur le bitume de la cour de récréation ou entre les quatre murs de leur salle de classe.

Le râle de la ville a repris mais sans reprendre ce qu’elle avait encore de chaleureux. Des tables aux verres qui s’entrechoquent, les éclats de rire au coucher du soleil et l’odeur du gazon fraichement coupé du jardin des Tuileries ou du Luxembourg.

Le jeûne social que nous avons été contraints de vivre a laissé la place à l’imaginaire mais aussi au recueillement. Derrières les chiffres qui ne cessaient de défiler chaque jour, je voyais aussi au détour d’un tweet le témoignage du tout-venant qui déplorait une disparition. Un instant, nous nous sommes rendu compte que qui que nous soyons, nous étions égaux face à la maladie. Ni riche, ni pauvre, ni vieux, ni jeune, ni homme, ni femme.

Ce temps d’arrêt a été bénéfique, il appelait à une forme d’humilité dans le geste et dans la parole. À la fois pour penser à ces autres, qui étaient touchés directement, à ce mal à la fois si loin et si proche, mais aussi à soi, à son utilité et sa place dans le monde, à ceux que l’on aime et ce que l’on aime.

Naïve, j’ai cru que ce serait le temps de redécouvrir nos mains et nos cœurs. Nos mains pour servir et fabriquer, nos cœurs pour aimer et penser à demain, à autrui, à la planète et aux enfants qui nous entourent. Aussitôt le confinement levé, nous nous sommes rués à reprendre les mêmes travers qu’avant.
À ce mal qui attaquait nos poumons, j’attendais que l’air soit érigé en bien commun au même titre que l’eau. Un droit inaliénable, un bien inviolable. Au lieu de cela, c’est un monde impersonnel et froid qui a succédé à cet Ancien Monde que l’on a tant décrié.

Est-ce que ce sera mieux après ? C’est pourtant à chacun de le construire cet après, en agissant directement, en rapprochant les cercles de dialogue et de décision. En recréant au contraire davantage de fraternité, de proximité et de chaleur. Que les rues des villes ou des champs en transpirent. Qu’un peu plus d’amour y règne et que chacun s’y sente chez soi.

Tes cousines et tes cousins sont déjà là, et malgré leurs mots d’enfants, je les entends aussi s’inquiéter de ce que nous, vos ainés, vous ont laissé. On s’est un peu égaré pour ce retour à la normale, mais je peux te promettre que pour notre rendez-vous de septembre, on sera un peu plus à la hauteur de t’accueillir dans ce monde et qu’il n’y aura plus de retour à l’anormal.

Toi, l’enfant à naître, mon enfant, j’espère que tu seras indulgent. Je t’aime déjà tendrement.

Sophia

 

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