Marie-Amélie GOUPIL a 35 ans, elle est professeure des écoles et maman de 4 enfants.
Spectatrice de Méli’môme avec ses élèves et ses enfants.
“L’année dernière j’ai vécu un moment extraordinaire grâce à vous en emmenant mon fils Gabin, polyhandicapé, voir un spectacle avec ses soeurs. La diversité des propositions et de Méli’môme permet cela.”
“J’ai envie de vous offrir cette lettre aussi comme un cadeau en remerciement de ces textes que vous nous donnez à lire régulièrement et de votre travail pour que l’art continue à nous permettre de nous évader.”

 

Lundi de Pâques 2020, 13 avril

Mon Gabin

Il y a 5 ans, le lundi de Pâques, une tempête nommée épilepsie éclatait dans ton corps et allait te conduire en réanimation pour de longues semaines. Déjà, depuis ta naissance tu nous avais fait vivre de nombreuses aventures médicales et paramédicales, mais là nous entrions dans une autre dimension. Tu n’allais jamais être intubé et c’est à la naissance de ta petite sœur, deux étés plus tard que nous allions retourner dans ce service et découvrir le respirateur…

Mais, respirateur mis de côté, le mot réanimation, omniprésent dans les médias actuellement résonne particulièrement en moi. « La réa on connait » serais-je tentée de dire… On connait et on ne connait pas. Nous y sommes allés pour deux de nos quatre enfants. Nous y avons passé deux mois à tes côtés, mon chéri. Mais nous y étions, nous, avec notre histoire, nos émotions, pas celles des parents de la chambre d’à côté ni du petit prématuré d’en face. Et surtout nous ne sommes, ni ton papa ni moi, soignants. Ces soignants que les français applaudissent chaque soir à 20h, ça fait 9 ans que nous les applaudissons dans nos cœurs toutes les semaines et 5 ans que nous leur devons ta vie qui continue à nos côtés… Eux et tout le personnel de l’hôpital, je pense aussi spécialement aux ASH (agent de service hospitalier) qui chaque jour nettoyaient les chambres et vidaient les poubelles avec un discret sourire pour nous.

Il y a 5 ans donc (en 2015 c’était un 6 avril) notre vie basculait une seconde fois, 4 ans après l’annonce de ton handicap. Nous entrions en confinement. Pas le même que celui que nous vivons actuellement à la maison avec toi, ton frère et tes deux petites sœurs, mais un confinement quand même. Je me suis souvent demandée ces jours derniers d’où me venait cette sensation d’avoir déjà vécu quelque chose du même ordre et hier j’ai trouvé.

Ces deux confinements-là étaient bien différents.

Avec toi un confinement entre ta chambre de réa et notre appartement. Entre les deux, 10 minutes en voiture. Parfois un aller-retour à l’école pour aller y chercher ou y déposer ton frère. Cette année-là le printemps fut ensoleillé et plutôt chaud et je retrouve aujourd’hui la même sensation hors du temps quand je sors dans la rue pour une course et que tout me semble étrange autour. Comme si le monde n’était plus le même. Avec Alixane, un confinement douillet et rassurant dans une chambre mère-enfant, et le manque de toi, de nous 6, de notre famille, l’obligation d’attendre pour être réunis.

Cette année, nous sommes tous les 6 mais nous devons attendre pour être réunis avec un plus grand nombre. On se demande combien de temps il faudra encore attendre pour que ceux que tu aimes tant, comme ta Grand-Mamie chérie, puissent t’embrasser. Ta fragilité nous fait craindre le pire et notre confinement avec toi durera le temps qu’il faut pour que le virus ne te renvoie pas en réa. Si seulement tu pouvais l’avoir déjà eu, ce virus, de manière inaperçue et t’être immunisé…

Il y a 5 ans notre vie basculait une seconde fois et cet événement qui aurait pu nous éloigner de Dieu nous en rapprochait. Il aurait pu briser notre couple, il le soudait. Il aurait pu nous couper du bonheur, il nous a fait goûter à la vraie Joie. Depuis toutes nos priorités ont été revues. Nous savons où est notre Essentiel et bien que le quotidien nous rattrape souvent notre boussole a trouvé son Nord grâce à toi. Elle nous a conduits aussi à prendre soin de la Terre, cette Terre qui respire comme elle n’a pas respiré depuis des dizaines d’années alors que des milliers de ses habitants étouffent… Quelle leçon !

Mais qu’est-ce que le monde retiendra de cette leçon ? Faudra-t-il qu’elle soit suivie d’une révolution pour empêcher nos dirigeants de vouloir nous ramener à tout prix à l’ordre (au désordre ?) d’avant ?

La course effrénée va-t-elle reprendre, la planète va-t-elle recommencer à étouffer jusqu’au prochain virus, nos soignants à s’épuiser faute de moyens et nos enfants faire les frais d’un système scolaire inadapté ?

Gabin, toi tout ça tu t’en fous ! Une caresse, un sourire, la voix de tes grands-parents au téléphone, une chanson, un bon bain, suffisent à ton bonheur. Le monde est forcé de ralentir, comme nous il y a 5 ans, et je prie pour que comme nous, il retrouve le Nord.

Ta maman qui t’aime

 

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