Laure JACQUOT est professeure de français dans un collège rémois, après beaucoup de détours dans sa vie professionnelle, mais qui ont tous eu un objectif, travailler auprès d’un public d’ado.
Une vraie vocation.

Reims, le 23 avril 2020

Chers élèves,

8h89 ! Hein ? Quoi ? Qu’est-ce ? Dans quelle dimension j’ai atterri ? J’ouvre les yeux plus grands, je fais le point sur les chiffres lumineux suspendus devant mes yeux… 8h09. Me voilà rassurée, tout est normal ! Enfin presque.

8h09. Normalement, à quelques minutes près, j’entre sur le parking du collège. Normalement, vers cette heure, je bois ma tasse de café, cogitant à la journée qui s’annonce. Normalement, à cette heure, je suis avec vous. Mais voilà, ce matin, comme depuis 38 ou 39 ou je ne sais plus combien de matins, à plus ou moins 8h09, je suis dans mon lit. Et ça m’ennuie.

Je vais vous dire, vous me manquez. Votre effervescence, vos questions et questionnements, vos coups de gueule, votre mauvaise foi, vos rires, bref, l’entièreté de votre adolescence me manquent. Mon travail avec vous me manque : enseigner à distance n’aura jamais la même saveur qu’enseigner à vos côtés.

Je dois vous avouer, ces 38 ou 39 ou je ne sais plus combien derniers jours, je me suis sentie bien des fois impuissante, parfois incompétente. Comment répondre à vos besoins, questions, sollicitations derrières mes écrans ? Ordi ou tél, même combat, un écran ne sera jamais la réalité d’un face à face. Alors, je fais au mieux ; et je sais que beaucoup d’entre vous aussi. Nous avons saisi cette nouvelle réalité autant que possible : certains se révèlent, d’autres s’effondrent et rebondissent, quelques-uns abandonnent. Pourtant, je sens votre énergie à aller de l’avant.

Donc, une dernière chose chers élèves. Nous vivons une situation exceptionnelle. Vous me connaissez, je suis plutôt réaliste et pragmatique, mais nous ne pouvons nier que ce moment est hors norme. Nous ne pouvons nier qu’il y aura un avant et un après confinement, un avant et un après 2020 dans nos vies. Tout est chamboulé… Sauf mon intime conviction que le monde de demain est à repenser, à construire, et cela ensemble, et cela grâce à vous. Les ados brouillons que vous êtes deviendront les adultes aboutis de demain : avec une nouvelle vision du monde, avec un regard renouvelé, avec de nouvelles aspirations qui refaçonneront le quotidien. Alors, on y croit et on relève la tête !

Au fait, je vous ai entendu rire… « Oui, Madame, vous’ êtes pas du matin, avec votre café, on sait que c’est pas votre truc ». Vous me connaissez bien les loulous, pas gentil de vous moquer ! Mais sachez que je préfère incontestablement voir 8h09 à l’horloge du collège que depuis mon lit.

Prenez soin de vous surtout. Je vous dis à bientôt.

Mme Jacquot