Jean-Rock GAUDREAULT est un auteur québécois.
Il a écrit Mathieu trop court, François trop long… Un texte magnifique qui a fait pleurer – notamment – le public rémois…
Également Deux pas vers les étoiles.
Nous avons accueilli ces textes montés par la Cie québécoise Mathieu, François et les Autres…
Jean-Rock a été le premier auteur accueilli en résidence d’écriture par Nova Villa. Une résidence qui a marqué !
Il est revenu au Cellier pour des lectures de Jouez, Monsieur Molière !
Jean-Rock est un auteur complice de Nova Villa.

 

Mon cher Joël,

Je t’écris cette lettre pour te dire que je ne t’écrirai pas cette lettre… On verra où ça va nous mener. Au fond, c’est à l’image du reste, n’est-ce pas ? Nous avançons à tâtons sur un chemin inconnu, retournant sur nos pas, en recherche de ces certitudes qui nous animaient il y a peu.

La pandémie qui nous touche aura été un révélateur de nos sociétés, c’est maintenant un lieu commun de l’affirmer. Le virus a mis en lumière nos zones d’ombre, nos abandons, nos renoncements. Il y a des actes de courage, bien sûr, et des héros. Mais dans l’ensemble il n’y a pas de quoi être fier. Je n’ai pas envie de dresser ma liste, d’y aller de suggestions. Le recul nous manque puisque rien n’est encore terminé. La peur fera place à la colère et à beaucoup d’incompréhension. La science, la religion de notre époque, sort bien amochée de cette épreuve. Et l’art, considéré comme non essentiel déjà bien avant la crise, n’a pu offrir que son répertoire à l’exception de quelques élans virtuels rassurants mais épars. Les écrans ont leur limite.

Je veux revenir sur la colère. Cette émotion a été traquée comme une tare depuis des décennies. On l’associe trop à la violence et à l’impulsivité. La colère est mauvaise conseillère en effet. Mais elle peut néanmoins contribuer au changement, à la libération. Je pense à ces citoyens de Hong Kong qui se battent pour leur liberté dans notre indifférence sanitaire. Je pense à ces pauvres gens qui brisent le confinement pour trouver de la nourriture dans certains pays. Sans oublier ces proprios de restos, de petites entreprises, ces troupes d’artistes et j’en passe et j’en oublie… Je salue leur colère et leur désarroi, car le destin leur a réservé une bien mauvaise surprise. Ce qui me choque le plus n’est pas le pire. Ce qui me bouleverse le plus ce sont ces finissants gradués de nos écoles interdits de bal, privés de fêtes et de rencontres. Toute cette jeunesse à laquelle on a imposé un confinement contre nature. Tous ces jeunes cloitrés comme des vieux, disons-le franchement. Cela peut sembler trivial après l’énumération de tout le reste… J’espère leur colère comme une pluie de printemps qui lave la terre de ses poussières d’hiver.

En fait, tout ce qui a trait à ce virus m’enrage et me révolte. Je n’ai pas envie de faire preuve de sagesse. Je précise que ces émotions ne sont pas dirigées contre quiconque, mais contre le destin lui-même. Dans le théâtre grec, cette colère contre le destin est parfois incarnée par les Furies. Elles étaient perçues comme les défenseuses de l’honneur et de la pureté. Je lève mon poing au ciel, Joël ! Je crie : la prochaine fois tu ne nous auras pas de cette manière ! Et pourtant ce n’est ni la première fois ni la dernière… Le temps tentera de tout faire oublier comme à son habitude. Mais comment faire pour que le futur se souvienne ? Nous avons pu constater l’impuissance des récits antérieurs et des archives pas si lointaines. Dans l’urgence du prévisible imprévu, nous avons retrouvé nos réflexes ataviques de nous terrer, de fermer nos frontières et nos portes, de nous dénoncer parfois… Tout ce qu’on croyait civilisé a pris une patine de barbarie…

Je n’ai pas encore envie d’en tirer leçon. Pas encore. Je salue les sages qui en sont capables. Je n’ai que faire de la sagesse qui n’est qu’une forme de renoncement à l’action. Mais c’est aussi un sentiment d’impuissance qui nourrit ma colère.

Plus je t’écris cette lettre, mon cher Joël, plus je sais que je ne te l’écrirai pas. Les gens ont besoin d’espoir, pas de constats. J’ai toujours écrit mû par l’espoir. J’écris dans le bonheur. L’Art n’est pas souffrance ni thérapie pour moi.

Nous retrouverons la vie d’avant qui ne sera plus la même. Ce sera une autre version d’une illusion de normalité. J’attends le retour de l’espoir. Il reviendra. Tout n’est qu’une question de temps.

J’ai hâte de me mettre à la recherche de ce qui est perdu à jamais et que personne n’a trouvé.

Jean-Rock Gaudreault

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