Isabelle CAPITAINE-BENNE enseigne le théâtre et la culture du spectacle aux élèves de l’option facultative ainsi qu’aux étudiants de DNMADE régie de spectacle du lycée Pasteur à Besançon. Elle est également la présidente de la compagnie Un Château en Espagne, la compagnie de Céline Schnepf.

 

Le jour d’après.
Confinement, J 21

Chère Marie-Louise,

Tu es née en 1901 et tu es décédée dans les années 80, tu as connu deux guerres mondiales, l’occupation et tu as même accouché de mon père en exode.

Si tu étais encore là, tu ajouterais une troisième catastrophe mondiale à ton actif : une pandémie. Peut-être te demandes-tu comment je vis cela, si c’est aussi terrible que ce que tu as pu connaître…

En fait, c’est très différent. Les gens sont, pour la plupart, confinés chez eux. Il n’y a plus que les magasins de première nécessité qui sont ouverts. Pour s’y rendre, on doit produire des autorisations de sortie. Les magasins ne sont pas vides, même si au début de cette période quelques ahuris se sont jetés sur les pâtes, le riz et le papier toilette. On est loin des cartes de rationnement que tu as pu connaître.

Je travaille chez moi, en « télétravail ». Tu sais, maintenant, on a tous des ordinateurs et des connexions au monde entier depuis notre domicile. Je ne me plains pas, mon quotidien demeure confortable.

Alors évidemment, il y a le virus, tous les gens qui sont touchés par la maladie, notamment beaucoup de personnes âgées qui doivent être hospitalisées et dont un certain nombre ne guérit pas. Le drame que nous vivons n’est peut-être pas tant celui de ce virus que celui du monde dans lequel arrive ce virus. Les hôpitaux ne sont pas prêts, on manque de matériel, on manque de lits en réanimation et tout le personnel hospitalier n’a même pas de quoi se protéger contre ce virus très actif et cela est la conséquence de l’incurie des politiques qui n’ont eu de cesse de faire des économies sur le dos de l’hôpital public.

Depuis que tu es partie, ce monde est devenu plus détraqué, plus rapide, plus pollué. Ce monde est dirigé par une poignée d’énormes banques et entreprises multinationales qui ne pensent qu’à faire de l’argent et qui mettent en place, au pouvoir, des hommes politiques qui ne sont pas dévoués à leur peuple mais à la rentabilité de ces entreprises.
Alors, pour amplifier leurs profits, ils ont sans aucune vergogne pollué les mers, les terres, les rivières, défriché les forêts, augmenté la température de la planète, déréglé tout l’écosystème. Ils ont voulu faire profit de tout, leur dieu était l’argent, les marchés. Et du jour au lendemain, toute leur belle construction s’est effondrée. Un château de cartes, tu vois.

Cette débâcle de leur économie a été précédée par les dégâts irréversibles faits à la planète. Tout est devenu fou et incontrôlable aux mains de ces héros tragiques : une poignée d’hommes bouffis d’orgueil, plus aveugles qu’Œdipe, des ogres insatiables qui n’en avaient jamais assez et qui, tels des Prométhée du CAC40, ont ouvert la boite de Pandore…

Le dernier mal en date en est tombé : Covid 19. Ceux qui luttent contre ce mal sont des hommes et des femmes au service du public : le personnel hospitalier qui soigne au péril de sa vie, les enseignants qui maintiennent à distance un lien pédagogique avec leurs élèves, les transporteurs : ceux qui permettent de convoyer de la nourriture, du courrier… Les caissiers et vendeurs dans les supermarchés et commerces de bouche, les gens préposés au nettoyage des lieux publics…Tous, des petits salaires, des gens que l’on ne regardait même pas. Et puis, il y a les artistes, aussi, ceux qui doivent se battre pour obtenir l’aumône d’une subvention leur permettant de créer. On réalise à quel point ils sont indispensables. Confinés, on a du temps pour lire, écouter de la musique, regarder des films, des pièces de théâtre, visiter des musées virtuels. Oui, on peut faire tout cela à la maison, maintenant, grâce à nos ordinateurs.

Et puis, tous les jours : le refrain tragique des chiffres : nombre de morts, nombre de nouveaux cas, en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, dans le monde… Alors, nous, les confinés, nous continuons de nous protéger, de faire attention à ne pas diffuser le virus.

Alors, on reste à la maison.
Alors, on reste à la maison et on s’informe et on réfléchit et comme on ne peut agir, on pense à l’après.

Au jour d’après.

À tous ceux qu’il faudra réparer : les soignants qui seront exténués, les angoissés et stressés qui seront traumatisés par toute cette tragédie, les endeuillés qui n’auront pu accompagner leurs défunts au moment de l’ultime passage et tous les autres…
Et puis, le jour d’après il faudra demander des comptes. Il faudra réparer les erreurs, réparer les choix politiques qui n’étaient que des choix économiques, des choix de profit.
Le jour d’après, il ne faudra pas oublier.

Voilà où nous en sommes, sur cette Terre. Mais peut-être le sais-tu. Peut-être, sais-tu même si, le « Jour d’après », on reconstruira un monde meilleur ou on retombera dans les mêmes égarements, voire pire… Je te proposerais bien de m’envoyer un signe : un papillon blanc dans la journée pour signifier que cela ira bien ou alors un… en fait, non, pas de signe.

Gardons l’Espérance, c’est ce qu’il reste au fond de la boite de Pandore. Nous ne nous résignerons pas.

Je t’embrasse…

Isabelle Capitaine-Benne

 

 

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