Delphine Laine-G est professeure de lettres au Lycée Colbert à Reims.
Elle aime lire, écrire, nager et cuisiner de bons petits plats… surtout en cette période de confinement, pour remonter le moral des troupes, ce qui fonctionne sur le moment, mais moins quelques jours plus tard sur la balance…

 

Auménancourt, le 18 avril 2020,

Cher ami,

Je me souviens d’un roman que j’ai lu il y a deux ans et qui m’avait impressionnée. Le narrateur – dont on comprend plus tard que c’est un alien – raconte sa vie dans un monde apocalyptique où les humains sont devenus les animaux d’aujourd’hui, divisés en trois catégories : celle qui travaille, celle qui tient compagnie aux envahisseurs et celle destinée à être mangée. Dans cette dystopie qui fonctionne, tu l’as compris, comme un miroir inversé de notre société, les oiseaux ont disparu. C’est un monde où le chant des oiseaux n’existe plus. Je me souviens que cette caractéristique m’avait frappée et que j’essayais, terrifiée, de m’imaginer un jour de ma vie sans cette apaisante musique…

Je me souviens aussi d’une série que j’avais regardée pendant l’été. Ce n’était franchement pas très bon – j’en ai d’ailleurs oublié le titre – mais j’aimais bien l’idée originelle de chacune des deux saisons : la première était que des chercheurs travaillaient activement, dans un laboratoire militaire situé au pôle Nord, à l’élaboration d’un médicament permettant aux soldats de résister à toutes sortes d’attaques chimiques je crois, mais que cette « potion » finissait par contaminer toute l’équipe de recherches – le savant fou à l’origine de sa conception également –, en faisait mourir certains, mais transformait les autres en d’atroces mutants, capables de garder une apparence humaine ou au contraire de devenir des bêtes hideuses anthropophages, selon leur degré de colère ou d’appétit.

La deuxième saison racontait là encore la dérive de recherches médicales, accélérée par la pression financière de lobbies pharmaceutiques : un virus, par accident de manipulation, se répandait alors dans le monde à la vitesse de l’éclair et transformait les contaminés en monstres cannibales qui finissaient par mourir, même sur l’île où une communauté d’illuminés derrière un gourou s’était réfugiée pour échapper à la contamination…

Est-ce que tu commences à faire le lien ? À comprendre pourquoi je te raconte cela en cette période de confinement ?

Pour te faire peur ? – Oui, en partie. Parce que le coronavirus est né d’une aberration : le franchissement de la barrière des espèces. Parce que la chauve-souris a failli à son rôle de porteur sain. Parce que c’est une pandémie qui, certes, ne nous transforme pas en monstres, mais qui tue.

Pour t’alerter ? – Oui, en partie aussi. Méfie-toi des opinions tranchées des uns ou des autres et des hypothèses que l’on prétend certaines (!). Écoute au contraire les avis modérés, scientifiques, journalistiques, ou politiques ; compare-les ; garde ton esprit critique mais aussi ton indulgence et élabore ta propre philosophie. Aurea mediocritas.
Mais aussi pour te redonner espoir. Quand le jour se lève, n’entends-tu pas le chant des oiseaux et ses mille variations – gazouillement, stridulation, ramage ? Au quintuple, au centuple, de « l’avant-confinement » ? Réveillé par la douce mélopée aviaire, ne te sens-tu pas en paix avec ta condition d’humain ? La nature, enfin, dispose d’un répit. Le bras humain a été stoppé dans son élan dévastateur et la Terre reprend son souffle, pendant une pause de mondialisation, de productivité et de surconsommation que nous lui imposions depuis les débuts de l’ère industrielle !

Alors, goûte ce paradoxe, oscille entre la peur et l’espoir, pour trouver le courage de t’indigner et de changer le monde de l’après-confinement.

Delphine LG

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