Marie-Nassatou MOUSSA NDOMANE est réfugiée d’origine tchadienne.
Nous l’avons rencontrée à l’automne dernier au CELLIER lors de la soirée littéraire consacrée à Anaïs LLOBET, et son livre DES HOMMES COULEUR DE CIEL, qui aborde entre autres le sujet de la migration.
C’est une grande lectrice.
Marie-Nassatou fait partie des belles rencontres humaines de NOVA VILLA.

 

Habib mon chéri,

Cela fait bientôt deux ans que tu te couches et te réveilles sans voir le visage de maman, sans entendre cette voix qui te demande si tu as fini de faire tes devoirs, si tu as bien rangé ta chambre. Sans quoi tu n’avais pas le droit d’aller jouer au foot avec tes copains. Deux ans que tu te poses certainement des questions sans réponses.
Sache que j’en suis désolée, vraiment désolée de me soustraire de ta vie pendant une si longue période et ne sachant toujours pas quand te retrouver Habib.
J’espère tout simplement que tu comprennes que ce n’est pas un abandon.
Il m’était devenu juste impossible de pouvoir continuer dans cette famille apparemment parfaite et d’endurer encore et encore cette souffrance sans piper mot. Tu étais le seul vrai témoin de mon assombrissement et de ma souffrance. Tu voyais dans mes yeux enflés de larmes, la peur, la tristesse et l’épuisement au point où je passais mes nuits, au lieu de dormir, à m’arracher les cheveux comme pour arracher avec eux toute l’amertume et la douleur qui m’habitaient.
Je me rappelle qu’un matin, voulant t’accompagner à l’arrêt du bus scolaire, comme d’habitude, j’avais l’air tellement bizarre, avec des trous ici et là dans les cheveux tu m’as dit “maman, je crois que tu as besoin de te reposer. Reste à la maison, je saurais y aller tout seul”. Et tu avais raison mon chéri. Tu l’as peut-être fait par compassion. Et même si c’était par honte, je comprendrais. Car personne n’aimerait voir sa mère se présenter en public dans cet état-là.
À partir de là j’ai ressenti la nécessité d’être entourée par mes proches et j’ai décidé de rentrer en famille, chez mes parents où m’attendaient mon père, ma mère et mes frères et sœurs.
Tu sais, comme je te l’ai toujours raconté avec beaucoup d’émotion, tes grands-parents sont très aimants avec nous, leur progéniture. Et avec moi, ils étaient particulièrement regardants et protecteurs (peut-être dû au fait de ma ressemblance avec la mère de ton pépé qu’il a perdu malheureusement très tôt à l’âge de 6 ans et dont parlent beaucoup ceux qui ont eu l’opportunité de la connaître de son vivant). Pour ça, il m’arrive souvent de me sentir perdue loin d’eux.
Tes grands-parents, mon fils, appartiennent à une communauté et cette communauté a des règles, et ces règles malheureusement ne tiennent pas forcément compte de l’unité familiale et moins encore de l’amour filial surtout quand il s’agit d’un certain nombre de choses que je préfère taire pour le moment.
Voilà pourquoi j’ai subi ce traitement sans indulgence du fait de ma vision différente de la vie, prise pour de la rébellion.
Alors je me suis éloignée. Éloignée au point de me retrouver sur un autre continent.
Depuis deux ans que je suis partie Bibi, je suis en France où j’ai pu trouver refuge.
Ça a été un chemin d’hospitalisation (dont je suis encore poursuivie par les factures mais que j’espère solder par la grâce de Dieu), d’errance, d’incompréhension, de prise de cachets, d’insomnie etc.
Aujourd’hui j’ai un appartement à moi, rien qu’à moi dans un HLM. Cet appartement est pour moi un havre de paix où je peux retrouver une certaine intimité depuis que je suis là. C’est mon château (un peu comme le Château de Versailles que nous avons visité avec émerveillement il y a quelques années (rire)).
Depuis je retrouve une vie plus ou moins normale mais autour de moi il y a un vide.
Mais ne dit-on pas que la nature a horreur du vide ? Alors un jour elle m’a envoyé de belles personnes, comme pour combler ce vide, comme pour me donner des proches que je n’ai pas su emporter avec moi en partant. Bien sûr elles ne remplacent ni toi, ni mon père, ma mère ou mes frères et sœurs, elles n’ont pas la même culture que nous. Ni notre couleur de peau. Ces personnes ne s’appellent pas Moussa et Ildjima, ni Djibrine, ni Allamine, ni Zenaba, ni Mim, ni Radi ni même Mariam. Ces personnes-là s’appellent Joël et Brigitte, François et Martine, Odile, Isabelle, Charlotte, Dominique, Vanessa, Valérie…
Et cette période de confinement où le virus du COVID-19 sévit telle une guerre froide et où l’ennemi mondial et invisible nous tient aveugles aux éventuelles balles perdues pouvant nous atteindre n’importe où et n’importe quand, et où les rumeurs de vaccins et de stigmatisation circulent ici et là, me souvenir de ces personnes me permet de ne pas sombrer dans le désespoir. Car j’ai vraiment commencé à m’en vouloir d’être partie et surtout d’être venue ici. Grâce à leur regard, à leur façon d’échanger avec moi et de se soucier de moi, je continue à espérer en une humanité diversifiée mais unie. Car l’espoir fait vivre mon fils, l’espoir fait vivre. Tout comme l’espoir que j’ai de te retrouver m’amène à me préparer à ta rencontre pour que quand tu me verras, tu sois fier de moi, et que je sois digne de toi.

En attendant de pouvoir te prendre à nouveau dans mes bras, de pouvoir te parler de tout, et de te faire le tour du propriétaire de mon château, sache que maman n’a jamais cessé de t’aimer et qu’au contraire elle t’aime un peu plus chaque jour.
Prends soin de toi Habibi. Tâche de respecter les mesures de prévention et où que tu sois, reste à la maison jusqu’à nouvel ordre.

Ta mère qui t’aime.
Nassatou

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