Corinne MAYENS, bibliothécaire, mère de deux enfants aujourd’hui adultes.
Ils ont été des spectateurs assidus des propositions artistiques de Nova Villa.
Membre du conseil d’administration de Nova Villa.

 

À celles et ceux que j’aime,

Tout ce temps…

Tout ce temps durant lequel tu es revenu mon fils, tu as repris possession du territoire de ton enfance, tes pièces de Kapla sont redevenues des constructions géantes, les albums de Claude Ponti sont sortis des étagères, les histoires enfouies racontées cent fois se sont mêlées aux albums photos.

Tout ce temps pour raviver nos souvenirs qui nous appartiennent et qui constituent nos mémoires pour l’éternité.

Au loin, tu es si près mon fils Victor, vêtu de blanc de la tête aux pieds, masque énorme qui ne laisse entrevoir que ton regard bleu des mers, protégé comme si tu partais vers l’abattoir.
Tu es si jeune, quelque part toujours un peu mon petit, pourtant des vies sont entre tes mains…
On te dit au front, en première ligne, en silence je t’admire.
J’ai peur en secret mais je ne dis rien. Tu es mon héros, celui pour qui je siffle à ma fenêtre le soir.

Tout ce temps différent, maman, parce qu’il y a eu cette chambre d’hôpital inaccessible.
Un virus envahit la planète, nos oreilles, nos écrans, un autre mal s’est installé dans ton corps, tu n’y crois pas et moi non plus.
En sourdine, il grignote, il accapare ton corps si vaillant et solide que tu considères invincible.
Tout ce temps qu’il nous reste maman pour nous dire que l’on s’aime, ce temps-là il ne sera qu’à nous, personne n’a le droit de nous le prendre.

Tout ce temps pour apprécier la douceur et le bonheur de découvrir Céleste et Eliot qui arrivent, leurs naissances illuminent mon écran de téléphone et je m’accroche à cette joie intense que me procurent les visages de nourrissons.

Tout ce temps pour regarder les vidéos de Roméo qui grandit, qui chante, qui danse, qui devient un petit garçon, qui promet un demain dans lequel j’ai envie de me projeter.
Tout ce temps pour rêver d’ailleurs, plus tard, avec toi, avec lui, avec elle, avec vous, tous ensemble, réunis, serrés, collés.

Tout ce temps pour imaginer demain et les jours suivants.

Tout ce temps pour rêver des livres qui ne sont pas encore écrits, des films qui se tourneront, des morceaux qui seront écrits et que Lionel pourra chanter.

Tout ce temps pour imaginer les spectacles que Chloé va pouvoir mettre en scène et que je vais défendre parce que je l’aime et que j’admire son énergie créatrice.

Tout ce temps pour regarder les vidéos que tournent ma sœur et qui me font rire.

Tout ce temps pour imaginer les émotions que nous aurions eu la joie de ressentir au festival Méli’môme…

Tout ce temps pour lire les lettres écrites par les invités de Nova Villa, y retrouver des souvenirs, de la tendresse, de l’humanité, des talents.

Tout ce temps où on a imaginé les spectacles qui étaient inscrits sur notre agenda.
Tout ce temps où on a rêvé des spectacles qui ne verront jamais le jour.
Tout ce temps où on a entendu les angoisses de nos amis intermittents.

Tout ce temps où j’ai rêvé de mon studio d’étudiante que je ne vais pas partager avec mon amie Anne en Avignon cette année.

Tout ce temps pour imaginer des escapades avec mes amies chéries et faire les folles sans retenue, se souvenir du Molitor et en rêver d’autres.

Tout ce temps pour se sentir vivants.

Corinne Mayens

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