André PARISOT a créé et dirigé la Compagnie LA BOÎTE NOIRE.
“GOUTER GÂTÉ”, “COMME UN SOUFFLE”, “L’ARCHE DE NOÉ”, “LES DERNIERS GÉANTS” autant de créations qui ont ponctué et marqué l’histoire du Festival Méli’môme.
Tout le monde a en souvenir son exposition au CELLIER voici 3 ans…
Aujourd’hui André continue d’exposer ses oeuvres, les dernières à ÉPERNAY et NOGENT LE ROTROU.
Nos histoires sont étroitement liées…

“André PARISOT est un chineur, il récupère toutes sortes d’objets mis au rebus, taxés par tous d’inutiles, endommagés, patinés par le temps, destinés au grenier ou à la poubelle, cela va du bouchon de shampoing d’une petite fiole d’hôtel aux mécanismes pendulaires qu’un ami horloger lui fournit.
Chineur et glaneur, il n’est ni collectionneur, ni fétichiste, l’objet l’intéresse uniquement pour ce qu’il peut raconter. Son outil c’est sa main.”
Cécile EL MEHDI

 

Mon vieux rhinocéros,

Nous ne l’avions jamais imaginé, envisagé, prévu, rêvé, cauchemardé et pourtant…
Nous qui prévoyons tout, qui anticipons tout, qui envisageons tout, engoncés dans nos certitudes, nos ‘’prévisionnels’’, nos projections, notre avenir déjà tracé… Juste un minuscule virus !
Le confinement. Pour qui ? Comment ? Pour combien de temps ?
Pour tout horizon : la maison. Il n’y a pas à se plaindre, la maison est grande et ouvre sur un jardin, même si la pâquerettomanie n’est pas mon fort. Habituellement mon regard se promène sur les trottoirs, en ville ou ailleurs, en mode aventure et découverte. Mais ce jour, c’est retraite confinatoire entre murs, parois, obstacles, élévations verticales entravant la vue sur un horizon proche ou lointain.
L’horizon sera donc jardinier, potager, saladier, radis noir, bibliothèque, atelier, à croquer, à dessiner, à peindre, à assembler.
Ce sont matins tardifs, et journées, familiales, musicales, lyriques, picturales, graphiques, gastronomiques, littéraires, jardinières, observatrices, voire ‘’musardières’’ ou ‘’flemmingées’’.
Éviter le trop plein d’informations, diarrhées verbales et renouvelées à l’identique jusqu’à la nausée.
Masques, chauve-souris, pangolin, vaccin, infirmières. Je pose tout et je trie :
’’Le jour où les pangolins mettront des masques, les infirmières vaccineront les chauves-souris’’
ou ‘’le jour où les chauves-souris mettront des masques, les pangolins ne rencontreront jamais les infirmières’’
ou ‘’le jour où les infirmières mettront des masques… ’’
Musarder face à la bibliothèque, je vais lire celui-là que j’ai un jour acheté sans même l’ouvrir, coup de foudre de l’auteur, d’une critique lue ou entendue ici ou là, d’une couverture qui me raconte déjà des histoires, je vais relire celui-ci, trop loin dans ma mémoire, dessiner avec celui-là, rêver, réfléchir, infléchir, s’interroger avec un autre, lire quelques dessins.
Et puis des moments d’errance, d’ennui interrogatif, dans l’attente de la surprise, dans l’accueil de la découverte.
Lâcher prise à la surprise, comme les sœurs Tatin et la tarte, comme Christophe Colomb et l’Amérique, comme Fleming et la pénicilline.
C’est parti pour l’aventure, espaces clos, sombres, changeants, éblouis de soleil. Le jardin est vaste et les recoins nombreux pour une promenade émerveillante. La nature en clôture. On entend les oiseaux. Dans un coin, recroquevillée, une surprise annuelle et attendue, enroulée comme un nautile maraîcher ? Une feuille de rhubarbe nous invite à un devenir printanier ? Un été très prochain, des soirées tendrement moites, des moments où l’on refait le monde – Quel monde ? Un monde avare de temps, un monde au souffle coupé, un monde qui se consomme lui-même. Un monde qui grouille de vie, de bestioles, oui des bestioles comme le Rhinocéros de Dürer, rencontré sur un rayonnage de la bibliothèque.
Chacun mène sa vie. Elle se révèle à nous dans ses petits détails. Le rhinocéros observe le monde de son œil caparaçonné, posé sur la feuille de rhubarbe. La nature et des bouts de rien dans mes poches, reprennent le pouvoir, celui de s’émouvoir, d’imaginer. Une façon de ne pas regarder les choses en face ? D’imaginer l’impossible, ‘’un autre monde’’ plus sobre, solidaire, divers, plus libre, déconnecté de nos multiples attaches virtuelles, riche d’humanité, de justice, d’intelligence loin de réactions suscitées par une émotion plaquée sur des événements.
Et puis il y a le silence sur la ville comme un dimanche après-midi d’un mois de juillet de canicule.
Et puis le bruit lointain des marques de sympathie à vingt heures.
Et puis un ciel, comme une toile d’Yves Klein, sans une trace, un monochrome trop profond pour être honnête.
Et puis dans la journée, des bruits, des rires de gamins qui jouent dans la rue, les voitures ont déserté la piste.
Et puis quelques oiseaux qui chantent, c’est le printemps, on construit les nids pour bientôt les remplir.
Et puis ça scie, ça tape, ça meule, ça cloue, ça tond, une autre façon de reconquérir son nid, de rattraper son retard sur le planning bricolage urgent.
Et puis des odeurs de saucisses échappées d’un barbecue qui se croit dominical.
Et puis, on n’entend rien, rien ne bouge ou si peu, mais je sais, je sens que ça bouge, ça court, ça sirène, ça pique, ça intube, ça soulève, ça surveille, ça empile, ça met en rayon, ça enregistre, ça code barre, ça factorise, ça empoubelle, ça met en ‘’boîte’’, ça coud, ça pleure, ça rit pour oublier sa peur, ça espère, ça désespère… ça revit. C’est la vie de ceux qui à force de tuyaux, de seringues, de machines, de chariots, de balais, de touches, de poubelles, de volants, de sirènes… de…, de…, de… celles et ceux en blouses blanches, roses, bleues, en costume bleu, vert, jaune, orange, des grands, des petits, des sans dents, des gens d’en bas, de ceux d’en haut, de ceux qui ne savent pas où ils sont, de ceux qui ne veulent être nulle part, de ceux, de ceux, de ceux…
‘’Soyons réalistes, envisageons l’impossible’’… me dit le rhinocéros sur un brin d’herbe.

André Parisot

 

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