Alice BABIN est journaliste indépendante et auteure.
Elle produit des documentaires radio pour l’émission Les Pieds sur Terre sur France Culture.
Elle sort son premier livre jeunesse le 10 juin prochain : “Histoires du soir pour Filles Rebelles” Tome 3, 100 destins de Femmes héroïques aux éditions Les Arènes.
Elle a commencé à écrire au Bondy Blog que Nova Villa connaît bien : un média engagé qui raconte les quartiers populaires de France et d’ailleurs.
https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre

 

Vendredi 1er mai, à Bagnolet,
Seine-Saint-Denis, France

Lettre au Printemps

C’est le 35e jour du confinement. À côté de chez moi une porte vient de claquer. Marre d’ici, marre de vivre dans du rétréci. Mon voisin Monsieur B sort chaque matin acheter le pain et s’habille tous les jours comme si c’était samedi. Je crois qu’il a hâte de reprendre sa vie. Dans son salon, ses enfants tournent en rond : j’sais plus à quoi jouer, pareil pour dessiner et assez de la télé…

Hier, ma voisine d’en face a pendu un drap marron pour cacher son balcon. Elle en a marre qu’on la regarde et c’est dommage : elle saute à la corde à l’heure du déjeuner et je crois qu’on était plusieurs à compter combien de sauts elle tenait.

16h. Ton ciel a encore changé. Il nous nargue ; court vers le soleil pour finalement déclencher une averse.
Du linge sèche sur un rebord de fenêtre. Dans ton air parfumé, les chaussettes se balancent et rêvent à s’envoler.
Tout à coup, on est assommé par l’une de tes giboulées : Bah quoi ? En mai, fais ce qu’il te plaît ! Tu parles.

Tiens, quelque chose apparaît. Une odeur, quelqu’un que je connais. Je crois qu’elle t’appartient. Je l’aime à frissonner et pourtant je ne saurais dire qui c’est.
Les chaussettes sont trempées maintenant. Si ça continue elles ne sècheront jamais.

Autour, les arbres tanguent. On dirait qu’ils dansent. Avec la glycine qui se dandine, j’ai l’impression qu’on m’appelle : “Allez, viens !” Et ton odeur qui revient…

Une fête se prépare. Il y aura du muguet et on ne sera pas invités. C’est le printemps. C’est ça. C’est toi. Tes couleurs qui s’emballent, tes derniers coups de vent. Vous avez l’air de bien vous marrer… J’aurais tant aimé participer !

Il pleut à nouveau alors que ton ciel est redevenu bleu. Décidément, tu fais vraiment tout ce que tu veux.
Ah, je sais. Tout à l’heure, c’était l’odeur du goudron mouillé. L’odeur de ton dehors qui ne sera jamais confiné.
Cher printemps, oh oui, cher printemps. Je crois que je suis un peu jalouse.
Jalouse de toute ta liberté.

Alice Babin

 

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